Vol. 277

n°1 de 2016
70ème année

pp. 27 et s.

Chronique de droit spatial

sous la responsabilité de

Laurence Ravillon

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Editorial

Laurence  Ravillon

Professeur à l’Université de Bourgogne,
Directrice du CREDIMI, UMR n° 6295

Le début de l’année 2016 a vu, au niveau européen, la Commission ouvrir une enquête approfondie sur l’acquisition d’Arianespace par Airbus Safran Launchers. Les craintes de la Commission européenne résident :

  1. dans la discrimination qui pourrait être exercée à l’encontre des fabricants de satellites concurrents d’Airbus en ce qui concerne les conditions d’accès aux services de lancement (prix, attribution des créneaux de lancement, accès aux informations techniques) ;
  2.  dans la priorité qui pourrait être donnée aux services de lancement utilisant les lanceurs Ariane, fabriqués par Airbus Safran Launchers, au détriment du petit lanceur Vega ;
  3.  dans l’approvisionnement en adaptateurs de charge utile et en séparateurs, qui pourrait se faire exclusivement auprès d’Airbus et d’Airbus Safran Launchers, sans prise en considération du prix et de la qualité des produits fournis par des entreprises concurrentes, ce qui serait préjudiciable à ces dernières.

Craignant que l’acquisition d’Arianespace par Airbus Safran Launchers entraîne une hausse des prix, un choix moins important pour les clients et des efforts de recherche-développement en recul concernant les satellites, les lanceurs et les équipements connexes, la Commission va se livrer à un examen approfondi de l’opération d’acquisition. Elle devrait rendre sa décision d’ici juillet 2016.

Des obstacles administratifs retardent également le développement d’Airbus Safran Launchers puisque l’entreprise a besoin de la réponse de Bercy quant au traitement fiscal de la soulte de 800 millions d’euros que Safran doit verser à Airbus Group pour équilibrer les participations dans l’entreprise commune.

Signalons également les discussions qui ont eu lieu, en décembre 2015, au sein de l’organisation internationale UNIDROIT, à propos de l’établissement du registre international des biens spatiaux, pour l’enregistrement des garanties fondées sur le Protocole spatial à la Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles.

La Chronique de droit spatial comportera une étude relative à l’intérêt de la Colombie pour les activités spatiales, avec un besoin d’encadrement juridique important, réalisée par Isabela Ardalan Espinel, avocate au Barreau de Bogota. Elle comportera également une bibliographie de droit spatial.

Le développement du secteur spatial
et de son encadrement juridique en Amérique latine :
un point de vue colombien

Isabela Ardalan Espinel
Avocate au barreau de Bogota et admise au barreau de Paris

L’espace est notre destin

L’espace est le domaine situé au-delà de la partie de l’atmosphère de la Terre où circulent les aéronefs. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique qui s’oppose à l’espace aérien. La frontière entre la Terre et l’espace n’est pas aussi bien établie que nous pourrions le penser. Sur Terre, l’atmosphère transporte les odeurs, le bruit, filtre la lumière et surtout l’air que nous respirons. Dans l’espace, il n’y a pas d’air, ni bruit, ni odeur. Mais divers dangers existent en raison des organismes, des particules et débris qui se déplacent à des vitesses élevées, ainsi que du rayonnement solaire.
Le début de l’ère spatiale est né des contraintes produites à l’époque de la guerre froide par l’opposition entre le bloc de l’Est et l’Ouest relative à la conquête de l’espace. Le lancement du premier satellite russe dans l’espace, Spoutnik en 1957, la réponse avec le lancement du satellite américain en 1958, le premier homme voyageant en orbite autour de la Terre (Youri Gagarine) en 1961, le premier homme à poser le pied sur la Lune (Armstrong et Aldrin) en 1969, ont fait prendre en considération l’espace extra-atmosphérique, par les États comme un facteur clé dans le développement de leur politique internationale. Ceci a conduit à la création d’institutions en charge des programmes scientifiques et de recherche dans le cadre d’une politique régalienne.
Le déploiement de la technologie initialement impulsée par la Russie, les États-Unis et les pays européens dans l’exploration spatiale, a permis le développement d’applications spatiales ; non seulement d’ordre militaire (espionnage, défense et sécurité), mais aussi d’ordre civil et commercial. Ce déploiement technologique a favorisé la mise en forme d’un système juridique dans le but de traiter les nouvelles situations qui se posaient.
Grâce aux satellites, nous pouvons connaître un peu les secrets de l’univers et comprendre les événements qui se produisent sur la Terre. L’envoi d’un satellite dans l’espace se fait au moyen d’un lanceur. Le satellite suit sa trajectoire prédéfinie jusqu’à son orbite cible. Les satellites sont tous différents et chacun est adapté à sa mission spécifique. Pour leur parfait fonctionnement, il est indispensable d’avoir des centres de contrôle et de traitement terrestres d’émission et de réception des signaux. Les satellites peuvent avoir différentes applications. Les satellites utilisent la ressource orbite / spectre pour la transmission des signaux depuis l'espace, ce qui implique la nécessité d´un cadre juridique clairement défini.
En effet, au moment du lancement du premier satellite, il n’y avait aucune certitude sur le statut de l’espace extra-atmosphérique ni sur la portée de la souveraineté des États, car on ne savait pas si elle comprenait le territoire qui est au-dessus de chaque État ou s’il y avait une zone internationale au-delà de l'espace aérien de chaque État. Ceci a généré les questions suivantes :

  1. Existe-t-il une limite entre l’espace aérien et l’espace extra-atmosphérique ?
  2. Quelle est la responsabilité des États qui lancent des satellites ?
  3. Quels sont les droits et les obligations d'un État survolé par un satellite et de l’État qui en est propriétaire ou qui l’a construit ?
  4. Quels sont les droits d’un État qui fait poser un engin spatial sur la Lune ou d’autres corps célestes ?
  5. Comment réguler l’espace extra-atmosphérique ?

En conséquence, dès qu’il existe un nouvel objet de régulation, naît un nouveau droit, en l’occurrence le droit de l'espace, qui régit les situations et les relations découlant des activités spatiales, en prenant en compte principalement des États. Avec le temps, ce droit a évolué vers un droit plus large connu comme le droit des activités spatiales, car ce ne sont pas seulement les États mais aussi le secteur privé qui y participent.
Pour ces raisons, l’Assemblée Générale des Nations Unies avec la Résolution 1348 de 1958 a créé un comité ayant pour but d’examiner les questions relatives à l'utilisation de l’espace extra-atmosphérique, parce que les règlements aéronautiques (Convention internationale de navigation aérienne, signée à Paris en 1919 et Convention de Chicago de 1944), bien que reconnaissant la souveraineté des États sur l’espace aérien de leur territoire, n’ont pas proposé de réponses aux nouvelles questions liées à l’espace extra-atmosphérique.
Ce comité consultatif est finalement devenu un comité permanent pour les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS) avec la résolution 1721 du 20 décembre 1961. C’est ainsi qu’en 1962, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté une résolution qui a posé les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes et a rédigé les traités internationaux sur l’espace, constituant le corpus juridique en matière spatiale (corpus juris spatialis).
Cette présentation portera sur le cadre juridique international du droit de l’espace extra atmosphérique (I), en tenant compte des développements technologiques mondiaux et des projets spatiaux colombiens. Elle identifiera la position de la Colombie face au cadre juridique de l’espace (II).

Isabela Ardalan Espinel s’est spécialisée dans les activités du droit des affaires internationales et du droit des activités spatiales en France. Elle est diplômée de droit de l’Université Externado en Colombie. Elle a plus de dix années d’expérience dans le conseil et le contentieux devant les juridictions françaises et colombiennes. Elle a occupé des postes à haute responsabilité au sein des services juridiques d’importantes multinationales. Elle a également participé à de nombreux congrès sur le droit des activités spatiales avec le CNES, la CITEL et diverses universités privées.

 

 

UNIDROIT 2015. Prep. Comm. Space/4/Doc.7rev.