Vol. 274

n°2 de 2015
69ème année

pp. 125 et s.

Chronique de droit aérien

sous la responsabilité de

Vincent Correia

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Editorial

Vincent Correia

Professeur de droit public à l’Université de Poitier

Les interrogations relatives au principe de souveraineté aérienne et, plus généralement, à l’espace aérien et aux conditions de son utilisation occupent les juristes depuis les débuts de l’aviation : l’une des premières thèses de doctorat en la matière portait, sans surprise, sur le principe de souveraineté aérienne .
Les éminents auteurs qui, tel P. Fauchille, ont défendu la thèse séduisante, bien que quelque peu utopique, de la liberté de l’air n’ont pas pu empêcher les États de défendre une conception extensive du principe de souveraineté aérienne. En effet, le « droit aérien s’est constitué en liaison avec le développement de l’aviation au plus fort des poussées nationalistes des États modernes et, de surcroît, dans un contexte où les aspects militaires, liés à l’exercice des prérogatives de souveraineté, étaient prédominants » .
En d’autres termes, comme l’a déploré N. Mateesco Matte, « le développement de la coutume des frontières artificielles en hauteur apparaît – en 1914-1918 – comme une situation de fait et de droit compréhensible, bien que contraire à la nature même de l’air et aux règles qui doivent régir la navigation aérienne » .

Malgré le caractère classique du sujet sur lequel s’est penché P. M. Dupont, son analyse est des plus modernes : le principe de souveraineté aérienne des États perdure, mais se trouve renouvelé dans son contenu, tout du moins en Europe, tout en restant protéiforme.
En effet, si les considérations de souveraineté continuent d’être présentes, de l’échange des droits de trafic au contrôle de l’utilisation de l’espace aérien et à la police du ciel, de nouvelles formes d’exercice de la souveraineté étatique apparaissent, dans le contexte particulier du Ciel Unique européen tout particulièrement.
Cette progressive « mutualisation du contrôle de la navigation aérienne », déjà expérimentée de manière limitée, mais avec succès au sein d’Eurocontrol, doit constituer la dernière étape majeure dans la réalisation d’une Europe de l’aviation civile unifiée. Pourtant, les pierres d’achoppement sont nombreuses et découlent toutes, de manière plus ou moins directe, de considérations de souveraineté, comme le démontrent les difficultés rencontrées pour la mise en place des blocs d’espace aérien fonctionnels.
La souveraineté aérienne, rapidement surmontée pour l’achèvement du marché intérieur du transport aérien, constitue donc toujours un défi de taille pour l’intégration de l’Europe de la navigation aérienne.
Bien que ces difficultés intéressent à titre principal le continent européen, il est possible d’en tirer des leçons à un niveau plus global, à l’heure où se développent d’autres expériences de régionalisme aérien, en Amérique Latine, en Asie ou en Afrique notamment. 
En effet, « Europe promotes the modernisation of the current regulatory framework to adapt it to the 21st Century. This is one of the reasons why we are also keen to develop regional integration. The European example shows that it is possible for sovereign States to integrate their economies in a Single Market, under common rules, which are binding and enforceable, based on the principles of equal opportunities, equal rights, and non-discrimination » .

Dans le futur, les succès rencontrés dans les autres régions du monde viendront peut-être, à leur tour, enrichir la réflexion européenne sur la manière de concilier la libéralisation du transport aérien avec une gestion rationnalisée de l’espace aérien et la garantie de niveaux élevés de sécurité et de sûreté.

En attendant que cela ne se trouve pleinement réalisé, le constat selon lequel « la esencia misma del transporte aéreo internacional justifica por sí sola la participación de diversos Estados en su regulación y la soberanía se ubica como clave » garde toute sa pertinence, comme le confirme l’analyse détaillée à laquelle se livre P. M. Dupont dans les pages suivantes.


J. F. Lycklama À Nijeholt, Air Sovereignty, La Haye, Martinus Nijhoff, 1910, 86 pp.

J. Naveau, « Le droit aérien en devenir - Pour une définition unificatrice », in G. Rinaldi Baccelli (Dir.), Liber amicorum en hommage à Nicolas Mateesco Matte - Au-delà des frontières, Paris, Pedone, 1989, 367 pp., pp. 227-237, p. 235.

N. Mateesco Matte, Traité de droit aérien aéronautique (évolution – problèmes spatiaux), 2e ed., Paris, Pedone, 1964, 1021 pp., p. 112.

D. Calleja, « Canada Lecture on E.U. Air Transport Policy », discours délivré le 10 avril 2008 à la Royal Aeronautical Society Montreal Branch, http://ec.europa.eu/transport/air/events/doc/2008_04_10_lecture_
calleja.pdf [accédé le 17/07/2015].

6 F. N. Videla Escalada, Derecho Aéronautico, t. 3, Buenos Aires, Editor Alberti, 1973, 757 pp., p. 591 : « L’essence même du transport aérien international justifie à elle toute seule la participation de divers États à sa règlementation et la souveraineté joue un rôle central » (traduction de l’auteur).

 

L’espace aérien,
une frontiere invisible ?

Pascal M. Dupont
Docteur en droit de l’Université de Paris 2.
Membre de la Société française de droit aérien et spatial (SFDAS).

La troisième dimension intéresse le droit depuis que, grâce aux progrès techniques, des activités humaines y sont possibles. Dès les débuts de l’aviation, les Etats ont considéré que l’air surplombant leur territoire devait être placé sous leur contrôle. Mais alors que le régime juridique de l’espace cosmique tend à se rapprocher de la haute-mer , celui de l’espace aérien proprement dit est avant tout influencé par le concept de la souveraineté territoriale .

La Convention de Chicago et les accords de transport et de transit signés en 1944 confèrent aux aéronefs civils un certain nombre d’obligations et de droits, dont les célèbres libertés de l’air . Celles-ci doivent se concilier avec les prérogatives de l’Etat survolé, et en particulier la mise en œuvre de la police du ciel qui vise à prévenir les menaces dans les airs, et notamment le risque terroriste. Comme la mer, l’air désigne à la fois un espace naturel en même temps qu’une frontière invisible.

A la différence des espaces maritimes, l’espace aérien a été structuré autour du territoire de chaque Etat et est donc indissociable de la souveraineté de ce dernier (I). Son utilisation comporte néanmoins des formes de coopération, voire de mutualisation entre Etats (II).

I- L’Espace aérien et la souveraineté étatique

§1 Le principe de la souveraineté aérienne
A- Notion
B- Délimitation de l’espace aérien :
B- limites verticale et horizontale

§2 L’exercice de la souveraineté aérienne
A- Les pouvoirs de l’Etat en droit international
B- L’exercice de la souveraineté aérienne
B- en droit français

II - L’utilisation de l’espace aérien

§1- Les services de navigation aérienne
A- Les normes internationale
B- Les services de la navigation aérienne en France

§2- La mutualisation du contrôle de
§2- la navigation aérienne
A - Les institutions de coopération internationale
B - Le projet de ciel unique européen

 


David Ruzié, Gérard Teboul, Droit international public, Dalloz, 21ème édition, janvier 2012, p. 153.

Du même auteur, « L’espace aérien entre souveraineté et liberté au seuil du 21ème siècle », RFDAS, vol. 229 - n° 1- 2004, p.p. 11-22.

Les libertés de l’air définies au moment de l’élaboration de la Convention de Chicago désignent les droits accordés à un Etat par un autre Etat pour des services aériens internationaux réguliers. Elles sont énumérées sous l’article 1er Section 1 de l’Accord relatif au transport aérien international du 7 décembre 1944 : « Chaque Etat contractant accorde aux autres Etats contractants, en ce qui concerne les services aériens internationaux réguliers, les libertés de l’air suivantes : 1. Le droit de traverser son territoire sans atterrir ; 2. Le droit d'atterrir pour des raisons non commerciales ; 3. Le droit de débarquer des passagers, du courrier et des marchandises embarqués sur le territoire de l'État dont l'aéronef possède la nationalité ; 4. Le droit d'embarquer des passagers, du courrier et des marchandises à destination du territoire de l'État dont l'aéronef possède la nationalité ; 5. Le droit d'embarquer des passagers, du courrier et des marchandises à destination du territoire de tout autre État contractant et le droit d'embarquer des passagers, du courrier et des marchandises en provenance du territoire de tout autre État contractant ».